Dans un secteur en pleine mutation numérique, le système d’exploitation libre reste largement ignoré. Enquête sur les raisons économiques, techniques et culturelles qui enferment les logiciels du BTP dans l’écosystème Windows. Le marché mondial des logiciels de modélisation de l’information du bâtiment (BIM) est estimé à 8,72 milliards de dollars en 2024 et devrait atteindre 16.72 milliards d’ici 2029. Cette transformation numérique touche tous les maillons de la chaîne, des architectes aux ingénieurs structure, en passant par les économistes de la construction. Pourtant, malgré cette modernisation, une constante demeure avec les logiciels métiers essentiels CAO, BIM, calculs thermiques ou structurels développés quasiment exclusivement pour Windows. Et Linux, pourtant en croissance sur le desktop (de 4,05 % en juin 2024 à 4.27% en avril 2025, selon StatCounter), reste le grand oublié.

Un oligopole verrouillé sur l’écosystème Microsoft
Le marché des logiciels techniques est dominé par une poignée d’acteurs comme Autodesk, Dassault Systèmes et Nemetschek… Tous concentrent leur offre sur Windows. Dassault Systèmes, pourtant proche du monde industriel et de l’open innovation, ne propose qu’une seule application compatible Linux (DraftSight, un outil de DAO 2D), alors que ses fleurons (CATIA, SolidWorks) restent Windows-only. Cette stratégie s’explique d’abord par la nature fermée et intégrée de leurs logiciels. Ils s’appuient sur des technologies propriétaires comme .NET Framework, DirectX, COM, voire des intégrations profondes avec Microsoft Office ou AutoCAD, rendant tout portage vers Linux complexe, voire économiquement suicidaire. La part de Linux dans l’usage professionnel est en réalité faible. Selon le cabinet IDC, moins de 2 % des stations de travail dans l’ingénierie utilisent Linux en environnement natif. Et la demande ne justifie pas, selon les éditeurs, les coûts massifs qu’implique un portage et la réécriture des couches basses, gestion des pilotes, tests multiplateformes, et surtout support technique.
L’inertie d’un secteur conservateur
La construction est historiquement un secteur à faible rotation technologique. Les postes Windows sont la norme dans les bureaux d’études depuis des décennies. L’ensemble de l’écosystème (imprimantes, scripts, formats de fichiers, formations, normes qualité ISO) est calibré pour l’OS de Microsoft. Changer d’environnement revient à remettre en question les pratiques, la formation et même la certification des équipes. Peu d’entreprises, surtout de taille moyenne, sont prêtes à franchir ce pas, et les éditeurs le savent. Des logiciels open source ou compatibles Linux existent par exemple FreeCAD pour la CAO paramétrique, QGIS pour le SIG, Blender pour la visualisation architecturale, OpenProject pour la gestion. Ils forment un écosystème fonctionnel mais souvent perçu comme incomplet ou complexe à intégrer dans des workflows professionnels standards. Quelques éditeurs ont tenté l’aventure Linux dans le passé pour, citer comme exemple, PTC avec Pro/ENGINEER, mais les versions ont été abandonnées, faute d’adoption.
Le cloud et la brèche possible
L’évolution vers les applications web et cloud pourrait rebattre les cartes. Des solutions comme Autodesk BIM 360, Trimble Connect ne nécessitent plus d’installation locale et deviennent accessibles depuis n’importe quel système. Cette bascule vers le navigateur réduit la dépendance au système d’exploitation, et Linux pourrait alors reprendre du terrain, à condition que les outils critiques (modélisation 3D) suivent. La pression réglementaire croissante sur la souveraineté numérique en Europe pourrait jouer en faveur de Linux. Le Land allemand du Schleswig-Holstein a par exemple lancé un vaste plan de migration de ses postes de travail vers Linux et LibreOffice. Si les commandes publiques venaient à exiger l’interopérabilité, voire la compatibilité Linux, les éditeurs n’auraient d’autre choix que de suivre.
Mais pour l’instant, cette pression reste marginale face au poids économique de l’écosystème Windows. La domination de Windows dans les logiciels métiers pour la construction n’est ni idéologique ni technique. Elle est le fruit d’une logique économique implacable, alimentée par un marché concentré, une faible demande, et un secteur peu enclin à bousculer ses habitudes. Linux pourrait s’imposer à l’avenir par le cloud, la demande publique ou l’évolution des standards. Mais tant que l’essentiel des utilisateurs professionnels reste sur Windows, les éditeurs continueront d’ignorer le manchot.
Sources
- StatCounter, « Desktop Operating System Market Share Worldwide », 2024-2025, statcounter.com
- The Document Foundation Blog, « German state planning to switch 30,000 PCs to LibreOffice », 2021, blog.documentfoundation.org
- ComputerBase, article sur la migration du Schleswig-Holstein vers Linux et LibreOffice, 2024, computerbase.de
- Business Research Insights, analyse du marché BIM, 2024
- Mordor Intelligence, rapport marché BIM 2024-2029
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